Les cocottes, l’écriture ou la déchéance du papier, par Anne Lenner

Carte blanche de Anne Lenner

À l’origine, le papier est le fruit d’un désir inouï de verticalité. Il n’était pas question, alors, d’y coucher des mots, mais au contraire, de l’envoyer haut dans le ciel, comme un salut muet à ce qui pouvait se tapir derrière les nuages. On en fit donc des cerfs-volants.

Les écrits pouvaient rester là où ils étaient : sur la pierre, les tablettes de cire et d’argile, le parchemin… les paroles, elles, s’envolaient, et le papier avec. Haleine ou vent, tout ce beau monde semblait bien destiné à flotter en suspension, comme autant de petites bulles de conscience sorties tout droit de leurs boîtes crâniennes.

Plus tard, seulement, le papier est devenu matière à impression. On l’a chiffonné, on l’a peint, on en a fait des origamis et pour finir, on s’est mis à écrire dessus. Un peu de tout et surtout n’importe quoi : le papier à lettres, entre autres, est né de ce besoin inhérent à l’humanité de passer à confesse, notre non-animalité nous valant la conscience de tous nos ratés. Alors, cette diarrhée verbale de faits mal digérés, on l’a torchée de papier.

Un temps, cependant, on voulut renouer avec sa fonction première, et rompre anarchiquement avec un monde voué à l’horizontalité. On lui redonna des ailes : on en fit des avions, que l’on envoya par escadrons entiers dans le dos des professeurs, ces éducateurs de conscience.

Puis, de nouveau, on voulut lui rogner les ailes et le domestiquer.

Et on en fit des cocottes de papier.

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