L’Oasis, par Cyril Montana

Carte blanche de Cyril Montana

Et puis d’abord pourquoi est-ce que j’avais passé mon adolescence dans une cité qu’on surnommait l’Oasis à cause des trois bouts de pelouse desséchée qui se battaient en duel, et pas chez les bourges à péter dans la soie et à tripoter des petites connasses dans les rallyes ? Ces gonzesse qui parlent en dé-ta-chant bien leurs mots les uns des autres. J’en rêvais moi, d’avoir trois paires de Weston et cinquante sacs en permanence au fond des fouilles. À la place de ça, je fréquentais Polo le Portugais qui baisait la gonzesse du bâtiment C, celle qu’on surnommait Peggy la cochonne quand elle n’était pas là, et salut Isabelle, tu vas bien, dès qu’elle arrivait. C’était à cause de son nez qui ressemblait à un groin, un nez empâté qui se terminait en trompette avec une petite boule au bout. Et puis aussi par ce qu’elle était boulotte et blonde comme la marionnette du Muppet Show. On ne comprenait pas ce qu’elle lui trouvait au Polo qui était tout le temps sapé comme un clodo, avec les ongles des mains dégueulasses à cause du cambouis du garage où il bossait. En plus, il boitait et passait son temps à cracher par terre en jurant. Caraï de caraï. Y’avait aussi Pipo le feuj, un gros type aux cheveux bouclés qui se faisait sucer dans les escaliers du bâtiment B par Maria, la cousine de Polo. Trente-cinq ans la meuf. Elle présentait bien, on aurait dit une beauf normale, petite, brune, femme de ménage, sauf qu’au lieu de scotcher tous les soirs devant la télé, il lui arrivait de venir sucer le Pipo. Elle débarquait comme ça, à l’improviste, alors qu’on était assis sur les bancs de la cité à fumer des pétards en douce ou à faire des parties de tennis-foot l’été. C’était comme un tennis sauf qu’à la place des raquettes, on se servait des pieds et de la tête. Y’avait le droit qu’à un seul rebond sinon t’étais niqué. Pour le terrain, on jouait devant les bancs, juste là sur les dalles de béton qui tapissaient la cité, ça rebondissait bien. Si ça provoquait souvent des embrouilles le soir, c’est parce qu’avec les lampadaires, on n’y voyait pas grand-chose et qu’il y en avait toujours un qui essayait d’en profiter pour gruger en faisant passer une balle dehors pour une balle dedans. Quand Maria débarquait, elle nous faisait la bise, et moi je pensais à cette bouche qui se posait sur mes joues et à la grosse bite qu’elle allait enfourner dix minutes plus tard. Il ne se faisait pas prier pour la suivre le Pipo. Je reviens, on va discuter. Il s’énervait quand on faisait des allusions devant elle en rigolant. Vous allez me péter mon plan, bande de bâtards, si elle apprend que je vous en parle, c’est terminé, vous entendez, foutu pour moi, alors faites pas les cons, merde. Il nous racontait qu’il la prenait parfois debout dans les escaliers. Des pauvres escaliers de béton en colimaçon, avec des lumières dégueulasses actionnées par une minuterie intransigeante, un écho omniprésent et une odeur qui surfait entre la pisse séchée et le moisi. Quand il revenait, il avait l’air tout détendu le Pipo. Ça me semblait incroyable qu’une femme au look si banal puisse faire des choses pareilles.

Ubu enchaîné (à ses chaussures), par Milan Dargent

18/09/2003

Rencontre avec Martine Laval (Jacques Chauviré)

18/09/2003