Carte blanche, par Isabelle Minière

Carte blanche de Isabelle Minière

Carte blanche… J’ai carte blanche : je peux dire ce que je veux. Mais est-ce que je sais ce que je voudrais dire ? Peut-être ceci, pour aujourd’hui :

 

Je voudrais dire des choses plus légères que d’ordinaire.
Je voudrais dire ces petits riens qui font les matins joyeux.
Je voudrais dire ces petits quelque chose qui font les journées heureuses, simples et tranquilles.
Je voudrais dire ces trois fois rien qui font les nuits si douces…
Je voudrais dire l’air du temps, un soir de printemps, quand il fait si bon, si léger, si aérien…
Je voudrais dire cette joie discrète, secrète, cette joie qu’il y a certaines fois à se sentir vivant.
Je voudrais dire la grâce, naturelle, bouleversante, sur le visage d’un enfant.
Je voudrais dire la maladresse, charmante, désarmante, des adolescents ; ces restes d’enfance, dans leur corps devenus si grands.
Je voudrais dire la pureté, quelquefois, et ce vertige qui vous prend quand par hasard, au détour d’un regard, à l’ombre d’un sourire, dans l’inflexion d’une voix, vous la percevez soudain, fugace, indicible…
Je voudrais dire les moments fragiles, délicats, les moments-papier de soie.
Je voudrais dire le sourire d’un passant, d’un inconnu, cette complicité d’une seconde ou deux, gratuite, gracieuse.
Je voudrais dire le charme, irrésistible, d’un éclat de rire, pour presque rien, l’innocence radieuse de ce rire-là.
Je voudrais dire les bonheurs futiles, enfantins ; les petites joies de rien du tout, et qui changent tout.
Je voudrais dire la délicatesse ; cette vertu modeste, discrète ; cette pierre précieuse au milieu d’un champ de cailloux.
Je voudrais dire cette impression, au sortir d’un livre, d’avoir eu avec son auteur une sorte de conversation ; ce sentiment, si troublant, d’intimité avec quelqu’un qu’on ne connaît pas.
Je voudrais dire ces instants, furtifs, de détachement, quand notre petit moi, à l’étroit dans sa cage, semble enfin se libérer, s’évaporer, se dissoudre ; ces instants si sereins que mourir devient soudain sans gravité, sans tourment ; ces instants mystérieux, éphémères, mais qui laissent leur empreinte, indélébile et rassurante.
Je voudrais dire certains regards, comme des miroirs, si plaisants, si gratifiants qu’ils suffisent à nous sentir aimables.
Je voudrais dire le charme de ces conversations, bien anodines, mais où un autre langage se devine, où la séduction doucement se dessine…
Je voudrais dire ces mots qu’on ne dit pas, tous ces mots qu’on pense tout bas, qu’on invente en secret pour quelqu’un qui n’est pas là, ces mots tendres, ces mots idiots, ces mots tout doux, tout fous, et qu’il ne saura pas.
Je voudrais dire la pudeur des sentiments, de ceux qu’on dit avec les yeux, quand ce sont les yeux qui sourient, quand c’est le regard qui dit oui.
Je voudrais dire ces instants d’intense intimité, où l’on cesse de se sentir seul au monde, et pour toujours ; ces instants de grâce…
Je voudrais dire la douceur d’un regard, la douceur d’un geste, la douceur d’un sourire, la douceur d’une parole, la douceur…
Je voudrais dire des choses plus légères que d’ordinaire.
Je voudrais dire la légèreté.
Je voudrais dire l’ordinaire.
Je voudrais dire une banalité :
Je voudrais dire que sans une petite touche d’amour, on n’est plus personne.

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