Gros bonnet, par Franck Ruzé

Carte blanche de Franck Ruzé

Je regarde mes nouveaux seins. C’est marrant, comme la prothèse est implantée sous le muscle, je peux les faire bouger si je contracte les pectoraux ; mhhh, et hop ils montent, et hop ils redescendent quand j’arrête de contracter. Remboursés par la Sécurité sociale. Hop, hop.
Maintenant que j’ai des seins, je me sens le droit de parler aux autres, au lycée. J’ai des seins, donc je suis. Au-dessous du bonnet A, les seins ça devient d’une portée quasi-philosophique. Bon, en tout cas là les mecs ils me regardent quand je parle, et avec un autre regard que « oh mais c’est bizarre, elle a pas du tout de seins la meuf », et je me dis que mmmoui, peut-être qu’il y en a qui me désirent. Là, juste pendant que je leur parle. Grande découverte. Résultat : depuis que j’ai mes nouveaux seins, piapiapiapiapia, je n’arrête plus de parler.
Ils ont fait passer les prothèses roulées très fin comme des cigarettes dans une petite incision juste sous le mamelon, et après, chais pas très bien comment ils se sont débrouillés mais bon, je suppose que ça devait être un peu comme euh… ouais, gonfler un bateau pneumatique à la plage ? Une copine est arrivée à l’hôpital, et elle a susurré à mon oreille « Anaïs ? » J’étais encore à moitié dans les vapes, mais j’ai senti quand même qu’elle soulevait les draps, et là j’ai souri parce que j’ai entendu « Salooooope ! »
Au début, c’est comme avoir quelque chose d’étranger en toi, et t’as qu’une seule envie, c’est de tout arracher. De percer le truc. De t’éventrer au cutter et de tout virer ce sale truc de merde. Et puis, petit à petit, t’y penses même plus. Les cicatrices se voient pratiquement pas ; le seul hhhh problème, c’est les vergetures, parce que la peau elle a été toute euh… toute distendue, là, d’un coup. Mais j’en ai seulement ici, et ici, sur le bas des seins ; pour les décolletés, c’est nickel.
Un soir de la semaine dernière, jeudi je crois, j’me suis fait draguer dans la rue. Mercredi ou jeudi. Enfin bon, j’étais avec une amie, et après elle m’a demandé pourquoi j’avais dit au mec « dégage, connard ». Elle pensait que j’attendais que ça, de me faire draguer dans la rue. Normal. Mais pour moi, le mec qu’est capable de t’arrêter pour te dire « Mademoiselle, vous êtes charmante », et celui qui te dit « Tu les as mangés, tes seins ? » c’est les mêmes. Ils disent juste ce qu’ils pensent. Alors dégage, connard.
Hop, hop.

T’as l’air heureux, Fred !, par Fred Paronuzzi

15/01/2003

Maître Nemo largue les amarres, par Emmanuel Pierrat

15/01/2003