Entretiens autour de La Consolante – Anna Gavalda

Carte blanche de Anna Gavalda

À un moment, dans L’Échappée belle, Garance énumère toutes les belles choses dont son crâne est rempli (page 35) et elle cite  « la lettre d’Armand Robin à la gestapo ».

  La voici :

Lettre adressée par Armand Robin à la Gestapo le 5 octobre 1943.

«  Il m’est parvenu que de singuliers citoyens français m’ont dénoncé à vous comme n’étant pas du tout au nombre de vos approbateurs.

  Je ne puis, messieurs, que confirmer ces propos et ces tristes écrits.

Il est très exact que je vous désapprouve d’une désapprobation pour laquelle il n’est point de nom dans aucune des langues que je connaisse (ni même sans doute dans la langue hébraïque que vous me donnez envie d’étudier).

  Vous êtes des tueurs, messieurs ; et j’ajouterai même (c’est un point de vue auquel je tiens beaucoup) que vous êtes des tueurs ridicules. […] Vous avez assassiné, messieurs, mon frère le travailleur allemand ; je ne refuse pas, ainsi que vous le voyez, d’être assassiné à côté de lui. »

 

                                  ______________________________

 

J’ai trouvé ce texte dans le magnifique Paroles de Liberté de Michel Piquemal et Hervé Tullet aux éditions Albin Michel. Livre que je relis sans cesse. D’ailleurs je ne résiste pas au plaisir de vous recopier  la première page de cette petite bible, soit un poème de Michel Leiris :

M’alléger

me dépouiller

réduire mon bagage à l’essentiel

 

Abandonnant ma longue traîne

de plumes

de plumages

de plumetis et de plumets

 

devenir oiseau avare

ivre du seul vol de ses ailes

   ______________________________

NdA : Delphine Peras, charmante au demeurant, voulait faire un dossier sur moi pour le magazine LIRE . Le « Phénomène Gavalda » comme ils l’ont d’ailleurs titré… (Tout ce que j’aime….)

Elle voulait enquêter dans mon entourage et je lui ai envoyé cette lettre (à titre privé) qu’elle a publiée sans me prévenir. Bon…

 

Bonjour Delphine,

 

   Je ne sais pas où vous en êtes de votre lecture de La Consolante, mais à un moment, vous verrez, Kate dit à Charles à propos du petit Yacine :

« J’aurais fait la même chose à sa place et j’ai fait ce que j’aurais voulu que l’on me fasse, si j’avais été à sa place. »

  C’est idiot, mais cette expression-là : faire ou ne pas faire aux autres ce que l’on voudrait que l’on vous fasse ou non, est mon seul point de repère dans la vie. Vraiment, le seul. C’est valable pour l’éducation de mes enfants, pour la mienne, et dans toutes mes relations aux autres. Peut-être que ça résonne davantage chez moi parce que c’est mon métier, finalement, de me mettre à la place des autres, mais quand même… il me semble que nous tenons là un joli b.a. ba…

   Depuis bientôt dix ans que je suis « dans la carrière », j’ai toujours essayé d’avancer discrètement. Je n’ai jamais voulu que l’on me prenne en photo avec mes enfants, j’ai refusé des tas d’honneurs, de titres, de poses et de propositions extrêmement flatteuses et/ou juteuses et je n’ai aucun mérite. C’est juste que je n’en avais pas envie.

  

    Ce que je donne aux gens, ce sont des sangliers encore vivants, des clic-clac qui ne s’ouvrent pas, des vétérinaires violées, des Chloé, des Pierre Dippel, des Camille, des Franck, des Philibert, des Yacine et des Kate attentives, mais le reste, Louis, Félicité, Constance, Marianne et tous ces gens qui connaissent par coeur le chemin de ma cuisine et me font la vie si belle, je les garde pour moi. J’ai même envie de dire « pour nous ». Pour eux et moi. Pour ce que nous avons en commun et qui n’a rien à voir avec mon parcours de dilettante. Et que ce parcours justement, pourrait gâcher si j’étais plus coquette…

   Ce truc de célébrité, de visibilité, de renommée, m’embarrasse au plus au point. Vraiment, je ne sais qu’en faire et pour dire les choses en bon français : ça me gonfle. Si c’était à refaire, j’aurais choisi nègre comme métier. Soit le plaisir d’écrire mais sans les conséquences d’avoir écrit.

   Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être parce que je vis très « dans la vie  » et en même temps très déconnectée du monde. Sans télé, sans journaux, sans radio et avec, pour seuls vrais émois, le travail brut des artistes que j’admire: leurs livres, leurs films, leurs tableaux, leur musique. Et ce qu’ils sont, ces gens, ou ont été, m’importe peu. C’est leur travail, leur sensibilité, leurs doutes et leur solitude qui me fascinent.

   Et m’aident à vivre.

  

     Il m’arrive très souvent de partager le même wagon de métro, de RER ou de train avec des gens plongés dans mes histoires et le fait qu’ils me zappent complètement quand ils relèvent la tête me fait très plaisir. A chaque fois, je le prends comme une petite victoire.

  

    Il n’y a pas de livres de moi, chez moi. Pas de coupures de presse me concernant et même plus de manuscrits de ceux que j’ai publiés. Mon éditeur veut sortir des nouvelles que j’ai écrites il y a quelques années et qui l’avaient marqué mais le problème, c’est que je ne les ai plus ces textes… Perdus dans des mémoires d’ordinateurs cassés ou sur des disquettes ébréchées… Je ne peux même pas dire que cela m’ennuie puisque j’en inventerai d’autres… L’important, c’est le plaisir que j’ai pris en les écrivant, après… qu’ils existent ou pas… bah…

 

  Peut-être suis-je profondément névrosée? (petit sourire) Sûrement ! Evidemment ! (grand sourire) sinon, je n’aurais pas ce besoin d’aller me perdre dans la vie d’autres êtres qui n’existent même pas et qui, pourtant, me semblent aussi vivants que mes propres enfants. Si c’est le cas, je la bénis cette névrose, car vous n’imaginez pas le bonheur que c’est d’être seule au milieu la nuit, quand les petits dorment, que le tas de linge sale prend des proportions alarmantes et que le thé refroidit.  Je suis là mais n’y suis plus et je m’amuse énormément.   

  

     Vous vous souvenez de cette fête géniale dans le minuscule appartement d’Holly Golightly in Breakfast at Tiffany’s ? Eh bien, c’est exactement ça. J’ai un bureau minuscule mais qu’est-ce qu’on est nombreux là-dedans… On se marche sur les pieds, on s’apostrophe, on picole et on attend que la police arrive pour aller se coucher. Dans mon cas, la police, c’est de me souvenir qu’il y a école le lendemain matin et qu’il faut dormir un peu. Quand même…

  Parce que mes ventes me dépassent, on voudrait me trouver quelque intérêt, mais… pff… ce portrait qui vous titille tant ne vous mènerait pas loin. Ce qu’il faut, c’est venir faire la fête avec nous et le carton d’invitation est glissé entre mes chapitres. Le reste, c’est une vie de maman (partie visible de l’iceberg) et de rêveuse (partie immergée). La première est facile à imaginer (vous avez la même) et la seconde est indicible.

 

  Il y a un truc qui me frappe par exemple… Depuis que Françoise Sagan est morte, on a publié des tas de livres plus ou moins sordides sur son compte alors que la plupart de ses romans sont épuisés. Comment fait-on aujourd’hui pour lire « Un orage immobile » si l’on n’a pas un coup de bol dans une boîte de bouquiniste. C’est absurde. Et c’est injuste. On touche là les limites de la pipolisation : Elle nous lèse tous.

 

  Je ne peux pas vous empêcher d’appeler qui vous voulez si trop compliqué pour vous de vous mettre à ma place, mais je sais que dans le lot, ceux qui m’aiment vraiment vous éconduiront gentiment parce qu’ils sont, entre mille autres choses, mon périmètre de sécurité.

 

   Bien à vous,

   A.

 

 

Dans les airs, par Guillaume Tavard

01/01/2006

Notre recette à nous, par Martin Page

01/01/2006