"Le monde est là, tentant comme un bandonéon d'occasion. Coatalem – profession : gobe-monde – lui arrache quelques mélodies sucrées et inquiétantes. Bora Bora où s'ensable la mémoire et se noie l'œil dans le bleu curaçao ; Goa, au clinquant suranné de kermesse coloniale ; un Vietnam convalescent appuyé à l'épaule d'un tour-opérateur ; le fantôme bourru de Kipling ; Baden et ses curistes ; Cuba en quarantaine qui mouille non loin de Miami ; Trinidad où les filles se donneraient « pour un savon » ; et puis Prague, le Rajasthan, les Caraïbes comme un cocktail d'îlettes endiablées. Un post-scripum malgache met fin au récital. Ces beaux horizons emmêlent leurs lignes comme des baguettes de mikado, s'ouvrent paresseusement sous nos doigts comme un éventail de clichés contemplatifs postés à tarif lent."
" Voyager c’est vaincre ! ", estiment les Arabes. " En se déplaçant, surtout seul, on doit tout réapprendre ", répond Coatalem en écho, ajoutant : " Un véritable voyage est déjà en soi de la fiction. " Quel effet l’écrivain trentenaire aimerait avoir sur ses lecteurs, outre le primordial plaisir de lecture ? " Eh bien, les inciter à moins faire de tourisme et plus de voyages, c’est-à-dire partir seul ou en groupe restreint, accepter l’imprévu, même s’il est embêtement, accepter aussi de s’ennuyer, ce qui, finalement, dans un environnement étranger, permet de se laver le cerveau. " Si ce vœu se réalisait, à une époque où chaque instant doit être agréable ou rentable, ou les deux à la fois, ce serait une révolution, M. Coatalem !
Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Le Monde, jeudi 3 avril1997.